Page d’histoire : Il y a 41 ans Mobutu faisait pendre les martyrs de la Pentecôte

Source : Digitalcongo.net

Le grand stade de football de Kinshasa s’appelle « Stade des Martyrs ». Très peu de gens savent que le libellé complet de ce nom est « Stade des Martyrs de la Pentecôte ». Ces martyrs-là étaient en réalité quatre politiciens, qui avaient été pendus en ces lieux à la Pentecôte de 1966, longtemps avant la construction de ce stade en 1993. Donc il y a de cela 41 ans.

Ainsi, sept mois après sa prise du pouvoir, Mobutu qui tient à marquer son territoire et à prendre ses mar­ques, va planter les décors d’un pou­voir fort : un pouvoir marqué du sceau des préceptes de Machiavel : « un chef doit chercher à être craint, qu’à être aimé ». Dans un scénario imaginé avec un cynisme artistiquement diabolique, Mobutu va tendre un piège à quelques acteurs politiques qui seront accusés de fomenter un coup d’Etat et pendus en public.

Un pouvoir fort

Dès le départ de son régime, au len­demain du coup d’Etat du 24 novem­bre 1965, le jeune lieutenant-général Mobutu ne fait pas mystère de sa vi­sion du pouvoir : ce sera un régime fort. Très rapidement, il interdit tous les par­tis politiques pour cinq ans. Deux jours après, il promulgue une ordonnance-loi, qui lui donne le droit de prendre par ordonnances-lois des mesures qui sont du domaine de la loi. Toutefois, ces ordonnances-lois seront soumises au Parlement dans les deux mois pour approbation. Le même jour, il prend une ordonnance-loi qui étend la com­pétence des juridictions militaires aux infractions relevant de l’abus du pou­voir, de la corruption. Il diminue les émo­luments du personnel politique et de la haute administration : il tient à « balayer la politicaille ».

Le 7 mars 1966, il supprime l’obli­gation qu’il s’était lui-même faite de soumettre ses ordonnances-lois à l’une des chambres législatives dans les deux mois pour confirmation. S’expri­mant devant les deux chambres réu­nies, il accuse les parlementaires d’avoir abusé de sa confiance et d’avoir fait usage du droit de regard qui leur était laissé sur les ordonnan­ces-lois pour les annuler, alors qu’elles n’avaient qu’un seul but : le bien de la nation. Le mécontentement est gé­néral parmi les parlementaires. Beau­coup se taisent face au risque de se mettre à dos le général Mobutu.

Mais quelques courageux vont élever le ton. Le sénateur Emile Zola interviendra par motion, pour demander quel rôle jouerait encore le Parlement dans ces conditions : il est fortement applaudi et appuyé par le sénateur Emmanuel Bamba. Pour ce dignitaire de l’église Kimbanguiste : « Il est temps de sortir des lâchetés hypocrites ». Trois mois après, il sera pendu à l’actuel emplacement du stade des Martyrs avec trois autres personnalités politiques : Evariste Kimba, Alexandre Mahamba et Jérôme Anany. Ce dernier avait été mi­nistre de la Défense dans le gouver­nement de Cyrille Adoula (1961-1964, chef-d’Etat major général de l’armée).

Dans ce gouvernement, Mahamba s’occupait des Affaires foncières, tan­disque Bamba y avait le portefeuille des finances. Evariste Kimba, quant à lui, était un muluba du Katanga qui s’était désolidarisé de Balubakat pour travailler avec Moïse Tshombe lors de la sécession du Katanga. Il était minis­tre des Affaires étrangères de ce gou­vernement sécessionniste. A la fin de la sécession en janvier 1963, il rejoint les siens pour prendre la direction de la Balukabat de Jason Sendwe.

Quand Tshombe devient Premier ministre du Congo en juillet 1964, Kimba s’allie à ses opposants de Léopoldville : Victor Nendaka, Cléophas Kamitatu, Justin-Marie Bomboko. En octobre 1965, Kasa-Vubu révoque Moïse Tshombe comme Premier minis­tre pour le faire remplacer par Kimba ; et ce malgré l’opposition du Parlement où Tshombe était majoritaire avec la CONACO. Ce bras de fer donnera l’oc­casion à Mobutu de faire son coup d’Etat, le 24 novembre 1965.

Piège mortel

A la prise du pouvoir par les épau­les galonnées du Haut commandement de l’armée le 24 novembre 1965, il n’était pas question pour eux de le gar­der longtemps. C’est au lendemain du coup d’Etat que Mobutu décidera de rester au pouvoir pendant cinq ans. Alors, beaucoup d’hommes politiques vont discuter des possibilités de l’écar­ter du pouvoir pour revenir au pro­gramme initial du Haut commandement de l’armée, tendant à installer un pou­voir temporaire, ayant pour mission d’élaborer une nouvelle Constitution mieux appropriée aux réalités politi­ques nationales.

Dans ces cercles de discussion se retrouvent aussi des officiers militaires qui demandent à leurs interlocuteurs civils de les ren­seigner sur la situation politique, car ils estimaient que le pays était sur une mauvaise voie. Ces officiers voulaient avoir une liste de politiciens susceptibles d’être associés à un gouvernement provisoire. Alors que les politi­ciens n’entrevoyaient aucune méthode, forte pour écarter Mobutu du pouvoir, les officiers militaires radicalisaient la démarche en suggérant des solutions plus brutales : il fallait assassiner le Pré­sident Mobutu et le Premier ministre, le général Léonard Mulumba. Parmi ces officiers militaires, celui qui semblait le plus extrémiste était le colonel Bangala (dont le nom est donné à l’avenue qui longe le stade Vélodrome de Kintambo vers la maternité de la même com­mune).

En réalité, tous ces officiers militaires n’étaient que des appâts pour mieux piéger les politiciens et les pousser à aller plus loin dans la conjuration. A tra­vers eux, Mobutu était régulièrement informé de tous ces contacts. Et il don­nait même des consignes pour que ces officiers puissent se montrer très en­gagés dans l’optique du coup d’Etat. Le dimanche 29 mai 1966, jour de la Pentecôte, un dernier rendez-vous est pris entre les quatre politiciens et six officiers supérieurs. Les derniers réglages, avant de passer aux actes, ont lieu à la résidence du colonel Bangala au quartier Parc Hembrise, à Ma cam­pagne. Dans le jardin de la villa où tous ces conjures établissent le dernier plan d’action, sont cachés des commandos. D’autres commandos déguisés en domestiques, servent la bière. Cette réunion qui avait débuté à 20 heures se termine à une heure du matin. C’est alors qu’interviennent tous ces com­mandos : les quatre politiciens sont arrêtés, à l’exception des officiers mili­taires.