Le scandale de Metaleurop

Etant originaire du Nord, je ne peux qu'être ému par les agissements de cette société qui a employé, pendant plus d'un siècle, des ouvriers qui ont fait la fortune de ses dirigeants. Aujourd'hui, ces ouvriers sont mis à la porte sans ménagement et les dizaines d'enfants atteints de saturnisme autour de l'usine souffrent chaque jour de l'inconséquence de ces patrons peu scrupuleux.
La Voix du Nord a très bien noté les correspondances que l'on pouvait faire entre cette situation et celle évoquée par Zola dans Germinal. Voici dont cet article qui doit nous faire réfléchir sur notre société.

A noter que mon exposition "Zola, un citoyen ordinaire" sera visible à la médiathèque de Noyelles-Godault, à l'occasion du Temps des livres, à l'automne 2003.

Charbon ou plomb, ouvriers de Metaleurop et anciens mineurs ont en commun leur discrétion sur les conditions de travail

« Danger ou pas, santé ou pas, on reste. C’est ça ou rien »

Surtout en ce moment, alors que leur usine ferme ses portes et que leur sort reste imprécis, il semble n’exister aucun ouvrier de Metaleurop prêt à parler de la plombémie... Pourtant tout le monde le sait : les arrêts de travail, imposés par la direction de l’usine noyelloise, à cause d’un taux de plomb dans le sang trop important, ne sont pas rares à Metaleurop. « Quinze ans de boutique, trois fois plombé », disait un ouvrier. La tenue des comptes de ces arrêts de travail, par les ouvriers de Metaleurop, sont monnaie courante au bistrot, entre soi, en famille. Mais ailleurs, il ne faut pas en parler. Souvenez-vous des accès de colère du personnel, quand une association et un particulier ont presque coup sur coup porté plainte, parce qu’ils étaient eux aussi victimes de la pollution par le plomb. En parler, c’était vouloir la mort de l’usine. Jean-Claude Mortreux, l’ancien maire de Libercourt, fut mineur de fond. « Je les comprend. Ce sont des gens qui, malgré le danger, n’ont pas d’autres sorties. C’est ça ou rien. Sortir de là sans bagages, sans rien, c’est perdu. »

Zola, déjà

C’était pareil à la mine. A l’époque, quand il y travaillait, le mot d’ordre était : « Danger ou pas, santé ou pas, on reste. On avait l’habitude de dire : "Les gens viennent au monde et meurent dans les mines." » Il suffit de relire Germinal d’Emile Zola. Dans la première moitié du roman, la direction impose aux mineurs de mieux étayer les galeries. Leur réaction fut de menacer de faire grève : boiser, même s’il s’agit de leur propre sécurité, leur fait perdre du temps, remonter moins de charbon à la surface, et gagner moins d’argent. La silicose, il ne fallait pas trop en parler. Des tentatives d’amélioration ont toutefois eu lieu : « On nous a fait miroiter l’injection de l’eau dans le massif », présentée comme étant la panacée contre la poussière de charbon. De l’eau était infiltrée dans la pierre pour capter ces poussières de silice. Au bout du compte, les mineurs ont attrapé des bronchites obstructives, avec le même résultat sur la santé que la silicose. La réalité confortait les mineurs dans leur attitude discrétionnaire. « Tous ceux qui sont sortis des mines n’ont pas retrouvé de travail. Ils sont devenus des gens complètement paumés, parce qu’ils ne savaient faire que ça. Il y en a qui ont quitté la région. Mais s’en aller et ne pas savoir ce qu’on fera... Ils sont revenus, même sans boulot. »

« Quoi faire d’autre ? »

Pourtant, nier la maladie, silicose ou plombémie (même si la plombémie semble à priori moins dangereuse que la silicose), ne sert parfois à rien. Les témoignages sont nombreux, qui racontent que d’anciens de Metaleurop n’ont pu retrouver de travail dans d’autres secteurs à risques, à cause de leur plombémie. C’était pareil pour les mineurs. « Oui, les gens connaissent des risques, poursuit Jean-Claude Mortreux. Mais la question qu’ils se posent, c’est quoi faire d’autre ? » Le pire, dans cette histoire, c’est que les salariés de Metaleurop n’ont pu se poser cette question de leur propre chef. Metaleurop SA les y a obligés.

Vincent TRIPIANA

La Voix du Nord, édition du 23 janvier 2003

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