Dans cet essai merveilleux sur le discours islamiste en Algérie, la romancière met en exergue ces mots de Zola,
tirés de J'Accuse :
Quand aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune, ni haine.
Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale.
Pierre Bergé, Les jours s'en vont, je demeure, Gallimard, 2003.
Je lui parlai de Zola, de la maison de Médan que je voulais sauver. Il savait tout à ce sujet, m'encouragea,
me posa bien des questions. Il se retira dans sa chambre. Le vent soufflait dans les pins des Landes et la nuit était
froide. Le lendemain j'allai lui dire au revoir. Il était dans le même fauteuil. J'étais près de partir lorsqu'il
me rappela :
"Tenez-moi au courant
pour Zola." Ce furent les dernières paroles qu'il m'adresSa. Sept jours plus tard, il mourut à l'aube dans
son appartement du Champ-de-Mars.
"C'est bien, ce que vous avez fait.
- Il le fallait, monsieur le Président ...
- Oui, j'ai vu, l'Assustance publique avait lâché Zola ...
- Vous connaissez Médan, monsieur le Président ?
- J'y suis allé un jour. (Un silence). J'ai relu les Rougon-Macquart, cet été. C'est bien, Zola, hein ? Quand je pense qu'on dit que je n'aime que les écrivains
de droite ... C'est faux, j'aime le XIXe siècle."
Un nouvelle vague de douleur. Un long silence.
"Bergé ? (Il l'appelle, inquiet.) Et puis, il faudra aussi surveiller la maison de Léon Blum à Jouy-en-Josas, quand je ne serai plus là."
Bergé approuvre sans mots. Puis il se lève. Il a du mal à parler lui aussi.
Plus loin, en novembre 1994, Mitterand observe (et pilote) la future élection présidentielle. Benamou s'exprime en ces termes sur l'engagement de Jacques Delors : "Le seul
qui pourrait rivaliser, dans l'agacement, avec Edouard Balladur, c'est Jacques Delors. Le Président revient de Liévin, façon Germinal, pour saluer les socialistes réunis
en congrès, et surtout pour souligner a contrario l'absence de Delors.
Bernard Werber, L'empire des anges, Albin Michel, 2000.
Ainsi donc j'avais un ange gardien ? Quelqu'un qui surveillait ce que je faisais ? M'aidait peut-être ...
Cette information me rassure et m'étonne en même temps. Je n'étais donc pas seul. Toute ma vie quelqu'un
m'a accompagné. Je le regarde plus attentivement.
Cette silhouette frêle, cette barbiche, ces lunettes du dix-neuvième siècle ... Il me semble l'avoir déjà
vu quelque part.
Le bonhomme se présente : Emile Zola.
- Monsieur Emile Zola, l'auteur de Germinal ?
- Votre serviteur, monsieur. Mais l'heure n'est pas aux ronds de jambe. Le temps presse. Dépêchons-nous.
Il m'affirme suivre ma vie depuis son début et m'assure que je ne dois pas me laisser faire maintenant.
- L'intrigue ... euh, le karma était bon. La chute est ratée. Par-dessus le marché, la bonne procédure du
jugement des âmes n'a pas été respectée. Ce procès est inique. Injuste. Antisocial.
Emile Zola m'explique qu'aux termes des lois en vigueur au Paradis, mon ange gardien aurait dû être présent à
mes côtés lors de la pesée de mon âme afin de pouvoir, le cas échéant, me servir d'avocat.
Il me tire hors du tunnel et me pousse vers le plateau où trônent toujours les trois archanges. Devant le
tribunal, il bouscule tout le monde, exige qu'on recommence tout. Il menace d'ébruiter l'affaire. Promet que
son intervention fera jurisprudence. Il en appelle à toutes les règles de vie du Paradis. Il tempête :
- J'accuse les archanges d'avoir falsifié la pesée de l'âme de mon client. J'accuse les archanges d'avoir bâclé
un procès qui les embarrassait. J'accuse enfin cette cour céleste de n'avoir eu pour seul objectif que
d'expédier au plus vite une âme dont le seul péché est d'avoir eu de la curiosité !
Visiblement, les trois archanges ne s'attendaient pas à ce coup de théâtre. Ca ne doit pas être tous les jours que quelqu'un
se permet de contester une de leurs sentences.
- Monsieur Zola, je vous en prie. Veuillez accepter le verdict du tribunal céleste.
- Il n'en est pas question, monsieur l'archange Gabriel. Je dis et je répète qu'à force de ne considérer que
les seuls agissements des thanatonautes, les mahistrats ont omis de se pencher comme ils le devaient sur la
vie de mon client et sur ses actes au quotidien. Or, c'est par là qu'il convenait et convient de commencer.
J'insiste, Michael Pinson a connu une vie exemplaire. Bon mari, bon père de famille, bon citoyen, ami remarquable,
ses proches savaient pouvoir compter sur lui. Toute son existence, il l'a menée avec justesse et droiture. Il a
multiplié les gestes de générosité pure et, en récompense, voilà qu'on le condamne à redescendre souffrir sur
Terre. Je ne permettrai pas qu'on brûle son âme avec une telle désinvolture.
Après un moment de silence, Raphaël intervient :
- Euh ... Qu'en pensez-vous, monsieur Pinson ? Après tout, vous êtes le principal intéressé, il me semble. Alors,
désirez-vous repasser devant notre tribunal ?
Maintenant que tous ceux que j'aime, Rose, Amandine, Raoul, Freddy, ne sont plus à mes côtés, je me sens démotivé.
Je dois reconnaître cependant que l'ardeur d'Emile Zola est plus que communicative et je me dis que si
Dreyfus ne l'avait pas eu pour défenseur, sans doute son cas n'aurait-il jamais été révisé.
- Je veux être ... rejugé.
Emile Zola rayonne.
Mine bougonne des juges.
- Bon, ça va, ça va, on va procéder à un nouveau pesage d'âme, concède l'archange Michel.
[...] Emile Zola applaudit, enchanté.
- La vérité finit toujours par triompher.