Cinq questions à Roberto Alagna
Après sa prise de rôle dans Le Trouvère de Verdi à l'Opéra de Monte-Carlo qu'il reprendra au Mai musical
florentin, le ténor Roberto Alagna renoue avec le répertoire français dans un nouvel enregistrement qui paraît
chez EMI.
1- Comment l'idée de ce disque d'airs du répertoire lyrique français vous est-elle venue ?
Je suis fou de ce répertoire. L'envie de l'interpréter en scène me tenaille, au point que j'envisage déjà un
frère jumeau à ce C.D. ! Quand j'ai le temps, c'est ce que je préfère écouter à la maison. C'est aussi une
manière de découvrir de nouvelles possibilités de couleurs et d'émission de ma voix.
2- Justement, qu'avez-vous découvertde nouveau dans votre voix ?
Il est de plus en plus aisé pour moi de chanter en français. Pourtant, cette langue est considérée par
beaucoup de mes collègues comme redoutable pour le chant ! Chose curieuse, le répertoire français facilite
mon retour vers l'italien. Le français agit comme un baume. Est-ce parce que, enfant, j'ai été écartelé entre
ces deux langues ? Aujourd'hui, je me sens plus serein. Ce disque, qui est une collection de "tubes", est
aussi rempli de clins d'oeil. Dans la Romance de Maître Pathelin de Bazin, par exemple, les aigus
ne sont pas écrits, mais il existe une tradition, donc je les fais.
3- Pour cet enregistrement, vous avez, entre autres, choisi L'Attaque du Moulin de Bruneau, Les Abencérages
de Cherubini, L'Amant jaloux de Grétry, La Juive d'Halévy, Joseph de Méhul et L'Africaine
de Meyerbeer. Parmi ces oeuvres, laquelle avez-vous envie d'interpréter sur scène ?
Une, non, toutes, oui ! Mais l'investissement que représente aujourd'hui une nouvelle production pose problème.
Un théâtre doit pouvoir reprendre une oeuvre afin d'en amortir les frais. J'ai très envie de chanter le Cyrano
de Bergerac d'Alfano, mais le projet bute parce qu'il faut trouver un autre ténir pour reprendre le rôle
derrière moi. Il en va de même pour les opéras sélectionnés pour ce disque. Même Les Pêcheurs de perles
de Bizet sont désormais problématiques en raison du manque d'interprètes. Il ne faudrait pas penser de la
sorte. Je crois que si l'on arrive à redonner une chance à ce répertoire, de jeunes chanteurs y viendront
naturellement.
4- A votre avis, pourquoi n'y a-t-il plus autant d'interprètes pour ce type de répertoire ?
Naguère, un compositeur pouvait baisser un air d'un ton ou d'un demi-ton, si cela permettait de mettre en valeur
la voix de l'interprète. Aujourd'hui, on chante beaucoup trop à la lettre. Je préfère l'air des
Pêcheurs de perles dans les versions de Caruso ou de Gigli, qui sont un ton plus bas mais qui ne
sacrifient rien à la beauté du chant. A l'opposé, la voix de fausset peut être divine. Il ne faut pas en avoir
peur. A condition de ne pas en abuser, bien sûr. A l'occasion de cet enregistrement, j'ai retrouvé un ami,
le chef Bertrand de Billy, que j'ai connu avant qu'il ne dirige le répertoire lyrique. J'avais senti en
lui quelque chose de grand. Je lui ai proposé de m'accompagner dans un récital d'airs lyriques et je l'ai
imposé à Eve Ruggieri pour le Festival d'Antibes. On ne voulait pas de lui, j'ai tenu tête. Depuis,
nous avons fait plusieurs récitals à Paris et ailleurs. Il m'a dirigé dans Carmen au Metropolitan
Opera de New-York. C'est quelqu'un avec qui on peut discuter, on fait de la musique ensemble. Il me
semble que ce bonheur transparaît dans le disque.
5- Songez-vous à votre prochain enregistrement ? Comme vous l'avez fait pour un récital Verdi, pourquoi
pas un disque de duos d'opéras français avec Angela Gheorghiu ?
Nous y pensons !
Propos recueillis par Georges Gad