Alfred Bruneau
C’est une jeune musicien, qui, le 1er avril 1888, frappe à la porte d’Emile Zola. Alfred Bruneau a 31 ans. Né d’un père musicien amateur (violoniste) et d’une mère peintre et élève de Corot, le jeune Bruneau pratique très vite le violoncelle. Au Conservatoire de Paris, il est l’élève de Massenet pour qui il voue une admiration sans borne. C’est ainsi qu’il se forme à la composition jusqu’au prix de Rome dont il décrochera un second prix en 1881 (il n’y eut pas de premier prix cette année-là).
Kérim est son premier opéra qui rencontre un succès mitigé. En 1888, il écrit un Requiem d’une très grande beauté. Son projet, à cette époque, est de mettre en musique un roman de Zola : La Faute de l’abbé Mouret. Introduit chez Zola par l’architecte Frantz Jourdain (concepteur des nouveaux magasins de la Samaritaine), Bruneau rencontre l’homme qui sera son guide pendant une large partie de sa carrière. Zola regrette de ne pouvoir donner les droits de La Faute de l’abbé Mouret, cédés à Massenet. Il lui propose alors un autre roman pas encore paru : Le Rêve. Cet opéra sera créé en 1891 à l’Opéra-Comique sur un livret de Louis Gallet. La nouveauté de cet opéra réside dans le parti-pris réaliste des auteurs : action contemporaine, costumes modernes. Le public, d’abord dérouté, accueille de manière favorable cette œuvre qui fait date dans l’histoire de la musique lyrique en France.
Zola, séduit par cette expérience, propose à Bruneau de mettre en musique sa nouvelle des Soirées de Médan, L’Attaque du Moulin. Cet opéra, représenté en 1893, voit Zola collaborer de manière plus large. Il écrit même un poème connu sous le titre des Adieux à la Forêt. En quelques années, une amitié est née entre l’écrivain et le compositeur. Pour leur troisième œuvre commune, il vont se séparer de Louis Gallet. Zola devient librettiste. Il écrit Lazare, oratorio en un acte mis en musique seulement après sa mort, puis Messidor.
Messidor, représenté en 1897, est la première tentative réussie d’opéra en prose. Bruneau accompagne le livret d’une musique aux résonances wagnériennes fortes et fait usage des leitmotive qui font de cet opéra une œuvre véritablement descriptive. Suivront alors L’Ouragan en 1901 et L’Enfant Roi en 1905. Après la mort de Zola, en 1902, Bruneau va continuer à puiser son inspiration dans l’œuvre du grand maître en mettant en musique La Faute de l’abbé Mouret, Naïs Micoulin et Les Quatre Journées de Jean Gourdon. Par la suite, Bruneau s’éloigne de Zola et compose notamment Angélo (d’après l’œuvre de Victor Hugo), Le Roi Candaule et Virginie en 1929, sa dernière grande œuvre théâtrale.
Il faut compter également une centaine de mélodies et de nombreuses œuvres littéraires sur Massenet, la musique française ou les musiciens russes. Enfin, il ne faut pas oublier A l’ombre d’un grand cœur en 1932 qui est un fervent hommage à la mémoire de Zola. Dans ce récit de leur collaboration, Bruneau revient sur leurs moments d’intimité mais aussi sur leurs luttes pour la reconnaissance d’un opéra naturaliste et sur le drame de l’Affaire Dreyfus dans laquelle Bruneau prendra une place non négligeable.
Alfred Bruneau meurt en 1934. Compositeur atypique, admiré de ses pairs tels que Chabrier, Debussy, Lalo ou Fauré, ses œuvres furent dirigées par Gustav Mahler et Richard Strauss. Verdi lui fit part de vive voix de son admiration. Bruneau fut un compositeur omniprésent entre 1890 et 1930, intime des milieux artistiques mais aussi des politiques. Il mérite donc, aujourd’hui, d’être redécouvert tant pour l’audace de sa musique que pour sa collaboration fructueuse avec Emile Zola dont il fut l’ami, presque le frère. Une phrase de Zola, citée par Bruneau lui-même, résume cette fabuleuse collaboration :
« Même lorsque nous serons victorieux, l’avenir m’inquiète. On sera longtemps à nous pardonner d’avoir eu raison … »