Alfred Bruneau, un compositeur à l’ombre d’Émile Zola

 

 

            « Ce serait une grande affaire pour nous tous si un de nous conquérait les planches ». Cette phrase, écrite par Émile Zola dans une lettre adressée à l’écrivain Léon Hennique, au lendemain de la parution de l’Assommoir, trahit les préoccupations du romancier pour le théâtre. C’est au travers de l’art dramatique que Zola désire, plus que tout, exprimer ses théories naturalistes, dans le constant souci de la vérité des décors, des costumes et du jeu des comédiens. Déjà, à Aix-en- Provence, le jeune Zola assiste aux représentations données par le théâtre de la ville et partage avec ses amis Baille et Cézanne la passion pour l’art dramatique. Puis, alors qu’il arrive à Paris, une première idée de pièce lui vient. Il écrit plusieurs pages de cette comédie intitulée « Les laides », écrite en vers, avant d’abandonner ce projet pour mieux le reprendre quelques années plus tard en utilisant la prose. Sa pièce ne trouve pas de théâtre et l’écrivain est obligé d’abandonner l’idée d’être joué dans un avenir proche. Loin de se décourager, il s’attelle immédiatement à l’écriture d’une nouvelle pièce, Madeleine, qui devra attendre près d’un quart de siècle pour être représentée lors d’une unique soirée à succès au Théâtre-Libre d’Antoine, le 2 mai 1889. Ce drame est, malgré tout, repris par son auteur qui en fait un roman paru sous le titre de Madeleine Férat. Zola trouve enfin le chemin du théâtre avec la pièce qu’il adapte de son roman, Thérèse Raquin. Le drame est joué au théâtre de la Renaissance neuf fois au cours de l’année 1873 avant d’être retiré de l’affiche, n’ayant pas conquis le public espéré. Après cette tentative avortée, Zola va encore écrire plusieurs pièces qui ne trouveront jamais le succès escompté.

            Cette attirance pour le théâtre est assez commune chez les romanciers réalistes et naturalistes. Les amis proches de Zola tels Flaubert, Goncourt et Daudet ont consacré une partie non négligeable de leur temps au théâtre, sans plus de succès que leur jeune ami. À tel point qu’avec l’écrivain russe Ivan Tourgueniev, ils fondèrent en 1874 le « Groupe des Cinq » ou celui des « Auteurs sifflés », chacun pouvant se vanter d’avoir subi un échec retentissant au théâtre. Pour trouver le succès théâtral, Zola doit attendre de rencontrer le dramaturge William Busnach qui adapte l’Assommoir dont la première, au théâtre de l’Ambigu, est un succès sans appel, tant le réalisme des scènes était saisissant. La centième est atteinte le 29 avril de la même année, suivie d’un bal à l’Elysée-Montmartre où l’on demande aux invités de venir costumés en ouvriers et en blanchisseuses ! Après cette réussite, Busnach adapte d’autres romans : Nana, Pot-Bouille, Germinal et le Ventre de Paris. Zola ne prenait pas part officiellement à l’adaptation théâtrale de ses romans mais suivait de très près l’écriture des pièces ainsi que leur mise en scène et le choix de la distribution des rôles. Pourtant, ces adaptations ne correspondaient pas à l’idéal que Zola se faisait du théâtre naturaliste, jugeant qu’elles faisaient trop de concessions aux désirs du public.

            Une nouvelle rencontre vient à nouveau conforter Zola dans l’idée d’une révolution théâtrale qu’il appelle de ses vœux. Le 30 mars 1887, André Antoine fonde son Théâtre-Libre et programme une pièce de Léon Hennique adaptée d’une nouvelle de Zola, Jacques Damour, publiée en 1880. L’écrivain soutient cette tentative d’un théâtre sans concession, libre de toutes les conventions classiques et pour qui la critique se montre très favorable. Henry Céard, le fidèle ami des Soirées de Médan, réalise également une adaptation d’une nouvelle de l’écrivain, Tout pour l’honneur, représentée à la fin de l’année 1887 au Théâtre-Libre qui devient ainsi le creuset du théâtre naturaliste. Mais Zola lui-même ne s’essaie plus à l’écriture dramatique, complètement absorbé par sa série de romans qu’il souhaite, plus que tout, achever. Sa rencontre, le 25 mars 1888, avec un jeune compositeur français va lui ouvrir de nouvelles perspectives …

            Alfred Bruneau, né en 1857, a suivi de brillantes études de violoncelle au Conservatoire de Paris. Puis, il a intégré la classe de composition de Massenet qui lui a donné le goût de la musique lyrique. Après avoir obtenu un second Grand prix de Rome en 1884 (il n’y eut pas de premier prix cette année-là), Bruneau écrit un premier drame lyrique, Kérim, sur un poème de Henri Lavedan. Avec cette œuvre, il ne rencontre qu’un succès modeste et il se met immédiatement en quête d’une œuvre littéraire forte qu’il pourrait mettre en musique. Il pense alors à la Faute de l’abbé Mouret d’Émile Zola, écrivain qu’il admire mais qu’il ne connaît pas. C’est Frantz Jourdain, architecte parisien et ami de l’écrivain, qui lui propose de se rendre rue de Bruxelles afin de rencontrer le célèbre romancier. Lors de cette première entrevue, Zola est dans l’obligation de décevoir Bruneau en lui annonçant que le roman demandé a déjà été promis à Massenet qui projette lui-même d’en faire un opéra. Bruneau se tourne alors vers son ancien professeur avec qui il avait noué des relations d’amitié et lui demande de se défaire du roman tant convoité. Massenet refuse et Bruneau reste dépourvu d’un sujet dramatique fort. Zola, ému par le dépit du jeune compositeur, lui propose alors de lui céder les droits d’adaptation d’un roman qu’il est sur le point de terminer : le Rêve. Aussitôt, Bruneau s’adjoint la collaboration du célèbre librettiste de Gounod, Massenet et Bizet : Louis Gallet. Trois ans plus tard, le Rêve est créé à l’Opéra-Comique et le public, d’abord étonné, acclame cette nouvelle œuvre saisissante de modernité. En effet, c’en est terminé des intrigues historiques ou mythologiques. Désormais, le drame lyrique dépeint le quotidien de personnages inspirés de la vie courante et contemporaine, les costumes sont achetés dans les magasins parisiens et les décors se veulent le fidèle reflet du réel. Avec le Rêve, l’opéra français connaît une nouvelle révolution dont les échos ne nous sont pas parvenus jusqu’à aujourd’hui et qu’il est indispensable de redécouvrir. La musique de Bruneau est, elle aussi, novatrice. Il ne craint pas d’utiliser des harmonies audacieuses, de multiplier les phrases mélodiques aux tonalités torturées. L’emploi de motifs conducteurs, à l’image de la musique wagnérienne, souligne les enjeux de l’action dramatique et mettent en valeur les sentiments divers des personnages. Nul doute qu’à cette date, un compositeur est né qui va tenter de prolonger ce succès par d’autres œuvres tout aussi audacieuses.

            Zola, séduit par la fougue de Bruneau et par sa force de travail, lui propose de continuer cette collaboration si fructueuse. Peut-être entrevoit-il que le naturalisme au théâtre peut enfin connaître sa consécration non pas sur une scène traditionnelle mais bien sur une scène lyrique. Le directeur de l’Opéra-Comique demande à Zola et Bruneau un nouvel ouvrage. Après réflexion, l’écrivain propose de mettre en musique une de ses nouvelles parue dans les Soirées de Médan : L’Attaque du moulin. Ce texte, paru en 1880 avec Boule de suif de Maupassant et d’autres nouvelles de Huysmans, Céard, Hennique et Alexis, rapporte un épisode tragique de la guerre de 1870 dans lequel un moulin est assiégé par les Prussiens avant d’être reconquis par les Français, non sans avoir semé la mort au sein des habitants du lieu. Louis Gallet écrit à nouveau le livret mais Zola s’investit plus franchement dans la réalisation de l’ouvrage. Il dicte lui-même le scénario à Alfred Bruneau et retouche, à de nombreuses reprises, les vers de Gallet. Il écrit également un texte en vers devenu célèbre sous le titre des Adieux à la forêt, popularisé au XXe siècle par le ténor français Georges Thill. L’Attaque du moulin n’est pas un opéra revanchard ou nationaliste. C’est, au contraire, un véritable hymne à la paix et un plaidoyer contre les violences et les malheurs des conflits armés. Désormais, Zola s’est pris au jeu du théâtre lyrique et sa relation de travail avec Bruneau se transforme en véritable relation d’amitié, tant les deux hommes se ressemblent par leur caractère et leur sensibilité. Même leur ressemblance physique est saisissante…

            Les relations avec Louis Gallet étant plus conflictuelles, l’écrivain se propose d’écrire lui-même les textes des futurs opéras de Bruneau, concrétisant son récent intérêt pour le livret d’opéra. À la fin de l’année 1893, il écrit un opéra en un acte, Lazare, que Bruneau ne mettra en musique qu’après la mort de son ami. Puis, il écrit Messidor, drame lyrique en quatre actes dont Bruneau compose immédiatement la musique. La particularité de ce nouvel opus est l’utilisation de la prose. En effet, Zola s’est toujours jugé mauvais versificateur pour pouvoir s’atteler à l’écriture d’un livret en vers. De plus, il juge que la vérité de la langue est nécessaire à la crédibilité de l’opéra naturaliste tel qu’il est en passe de se constituer. C’est une nouvelle révolution qui bouleverse le landernau de la musique lyrique française. Un débat nourri s’instaure dans la presse parisienne, les uns se rangeant à l’avis de Zola et Bruneau, les autres, garants de l’opéra classique, s’opposant farouchement à une telle pratique qui deviendra courante au siècle suivant. Zola écrit encore plusieurs opéras pour Alfred Bruneau : l’Ouragan (créé en 1901) et l’Enfant Roi (créé en 1905) ainsi que Sylvanire et Violaine la chevelue que Bruneau ne mettra jamais en musique.

            À la mort de Zola, en 1902, Bruneau est complètement bouleversé et entre dans une longue période de dépression. En effet, les deux hommes étaient devenus inséparables. Bruneau était aux côtés de Zola pour le protéger des cris et des hués, lors du procès intenté contre l’écrivain après l’écriture de « J’accuse ». Il était devenu le confident intime de la famille, assistant aux crises provoquées par la rencontre de Zola avec Jeanne Rozerot et la venue des deux enfants, Denise et Jacques. La mort, qui fait une intrusion aussi soudaine, vient bouleverser le cœur de cet homme au caractère foncièrement pessimiste et à la sensibilité exacerbée. Afin de rendre hommage à l’ami disparu, il compose la partition de Lazare, opéra dans lequel la mort est au centre de l’intrigue. Lazare, ressuscité par Jésus sur la demande de sa famille, émet le vœu d’être rendu à la paix du tombeau, fatigué de vivre et d’être confronté aux tourments de la vie. Jésus exauce sa demande et renvoie Lazare à la mort qu’il n’aurait pas dû quitter. C’est un Lazare iconoclaste qu’avait écrit Zola, lui-même tourmenté par cette vie de combats et qui aspirait au repos, au lendemain de l’achèvement des Rougon-Macquart. Bruneau semble se reconnaître également dans ce personnage, craignant de ne pouvoir faire face à la vie, de mener de nouveaux combats sans avoir à ses côtés l’être cher qui lui a permis de connaître le succès, comme en témoigne cette lettre qu’il écrit à son épouse, en mars 1903 :

 

            Je ne sais plus me conduire dans la vie. Je suis un être fini, démoli, définitivement à terre.

[…] Il ne faut plus compter, en aucune façon, sur mon avenir de musicien. Notre pauvre Zola disparu, personne ne daigne plus faire attention à moi. Je suis vaincu, las, découragé et incapable de continuer la lutte dans ces conditions-là. Je suis décidé à achever Lazare et à cesser de composer après avoir écrit cette partition de mort qui chantera la mort de mon œuvre. […] Je compte aller voir Jourdain, le mettre au courant de la ruine complète de mes espérances et de le supplier de me trouver une place soit à la Samaritaine, soit aux Galeries Lafayettes. Si je suis trop vieux pour faire des paquets je puis surveiller la vente dans les magasins, être un de ces messieurs décorés, en redingote noire et en cravate blanche que l’on voit à la porte de ces établissements. J’en ai assez de recevoir, comme critique, des crachats à la figure et des coups de derrière. Comme employé, cela ne comptera pas.

 

Heureusement, il parvient à surmonter cette crise existentielle, soutenu par son épouse dont le caractère affirmé l’oblige à se ressaisir. Et, de cette douleur, Bruneau va en retirer une force nouvelle et donner une nouvelle impulsion à sa carrière. Jugeant qu’il lui est impossible de vivre sans la présence de Zola, il se résout à écrire de nouveaux drames, tous issus de l’œuvre du romancier. Il se tourne alors vers les œuvres de Zola inspirées par le soleil de la Provence. Nous savons que dans le cadre général des Rougon-Macquart s’inscrit le cycle de Plassans, quatre romans qui se déroulent dans ce qui est une transposition romanesque de la ville d’Aix-en-Provence. La campagne aixoise est le lieu des promenades avec Cézanne et Bailles, des baignades dans l’Arc. C’est dans cette ville que Zola connaît ses plus belles années, malgré la mort soudaine de son père, ingénieur et concepteur du « canal Zola » destiné à fournir l’eau aux aixois. C’est également à Aix que l’écrivain découvre la musique qui va le rattraper à la fin de sa vie. Lorsqu’il était au collège d’Aix, il s’inscrivit dans la fanfare et apprit la clarinette alors que Cézanne s’adonnait aux joies du piston. S’ensuivit de nombreux défilés tonitruants dans cette ville célèbre pour sa douce tranquillité ! Puis, il entra dans la société philharmonique de la ville ainsi que dans l’orchestre du théâtre où il joua tout le vieux répertoire de l’époque, se forgeant une culture musicale qu’il se plut, par la suite, à dénigrer, imitant en cela ses prédécesseurs comme Hugo, Gautier ou Flaubert qui éprouvaient une véritable haine pour « le plus cher des bruits ». Il avoua même affecter « le plus vif mépris pour l’art des doubles et des triples croches » (Interview parue dans l’Echo de Paris, 7 juin 1891).

Bruneau demande donc à Madame Zola l’autorisation d’adapter la Fortune des Rougon, ce qu’elle accepte avec plaisir : « Vous êtes le seul, par votre adoration sans bornes, par l’étroite union de vos âmes en art, qui puissiez, ainsi que pour les œuvres précédentes associer votre art musical à la littérature de mon cher mari, si bien que l’on pourrait croire qu’il n’y a qu’un seul auteur tant vos pensées et vos natures vibraient de même. » (lettre du 27 avril 1903). Bruneau écrit lui-même le livret qu’il achève le 23 février 1908 et qui a pour titre Miette et Silvère. Il a privilégié l’idylle des deux jeunes gens, contrecarrée par le gendarme Rengade devenu un espion à la solde des milieux bonapartistes. Pourtant, Bruneau n’écrit pas la partition et abandonne définitivement son manuscrit. Entre temps, il a émis le souhait de réaliser le premier rêve de sa jeunesse, celui de mettre en musique La Faute de l’abbé Mouret, troisième roman du cycle de Plassans dont Massenet accepta de se défaire, après une demande officielle de Madame Zola. Il écrit lui-même le livret, réalisant plusieurs projets qu’il propose à André Antoine (alors directeur du théâtre de l’Odéon). La pièce n’est donc pas un opéra tel que Bruneau avait l’habitude de les composer. C’est une pièce avec ouverture développée et accompagnement musical. L’orchestre est placé sous la direction d’Édouard Colonne et Antoine mène les répétitions avec entrain, violence et talent. La première représentation a lieu le 1er mars 1907.

            Dans le même temps, Bruneau travaille à la composition d’une autre œuvre inspirée de son ami. Il s’agit de Naïs Micoulin, nouvelle parue en 1877 et réunie avec d’autres textes dans un recueil du même nom, en 1883. L’action se déroule également en Provence, dans le cadre rendu célèbre par les peintures de Cézanne : l’Estaque. Ce nouvel opéra est créé à l’Opéra de Monte-Carlo en 1907, sur la demande du prince Albert lui-même, qui devient un ami de Mme Zola et de la famille Bruneau. Le décorateur effectue de nombreuses maquettes avant d’avoir l’assentiment du compositeur qui dirige toutes les étapes de cette création. Il se rend même sur les lieux où Zola est supposé avoir écrit la nouvelle afin de recréer à la scène ce que Zola avait pu avoir devant les yeux trente ans plus tôt. Pour Bruneau, c’est également l’occasion de découvrir la Provence, pays qu’il ne connaissait que pour y être passé de manière épisodique. Avec sa famille, il rend même visite à Auguste Renoir qui a installé son atelier de peinture à Cagnes, au domaine des Collettes où il passe ses hivers. La Provence apparaît dans toute sa beauté au compositeur qui souhaiterait, avec les appointements consentis par le prince Albert, acheter une maison de campagne et venir s’y réfugier, loin du tumulte de la vie parisienne.

 

            Ainsi, l’incursion d’Alfred Bruneau dans la vie d’Émile Zola est un véritable bouleversement pour ce dernier. Les études zoliennes se sont trop souvent cantonnées à voir ce que Zola avait apporté de décisif dans la carrière du compositeur, allant jusqu’à dire qu’il n’aurait jamais eu une telle notoriété sans son influence bénéfique. Nous pouvons maintenant affirmer qu’Alfred Bruneau a également beaucoup contribué à la diffusion des thèses naturalistes dans les théâtres que les « Auteurs Sifflés » n’avaient pas réussi à conquérir. Les opéras de Zola et Bruneau ont été joués sur toutes les grandes scènes européennes, du Covent Garden de Londres à la Monnaie de Bruxelles, sans oublier Munich et Hambourg. Les plus grands chefs d’orchestre de l’époque ont demandé à diriger ces œuvres, tels Gustav Mahler ou Richard Strauss qui est devenu, par la suite, un ami proche de Bruneau. Verdi, lors d’une rencontre organisée avec le compositeur, a pu dire tout le bien qu’il pensait de cette œuvre en train de se créer. Enfin, tous les théâtres et opéras français ont repris ces drames lyriques qui ont été joués plusieurs centaines de fois jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

            Enfin, Bruneau est l’ami fidèle qui a consciemment sacrifié sa carrière en s’engageant totalement dans l’affaire Dreyfus, connaissant tous les rouages de cette terrible machination qui s’exerça contre un homme dont rien ne laissait présager un tel destin. La mort prématurée d’Émile Zola laisse un vide immense dans la vie de ses amis mais, après ce terrible malheur, vient le moment où il faut honorer l’ami et mener sa vie dans le même esprit que celui-ci avait mené la sienne. En octobre 1903, un an après la mort de Zola, Alfred Bruneau inaugure le premier pèlerinage organisé dans la propriété de campagne de l’écrivain, à Médan. Il finit ainsi son discours, montrant combien l’auteur des Rougon-Macquart avait compté et compterait toujours, allant, ô incorrigible modeste, jusqu’à diminuer la propre influence que lui-même put avoir sur lui :

 

Il n’a voulu que la vérité en tout, que la justice en tout, que la bonté, j’y reviens, en croyant, moi aussi, qu’il va rentrer… Je le vois me tendre les bras, me questionner avec une hâte fébrile, car cet incommensurable esprit, après avoir, dans un coup d’audace, donné la liberté à la peinture, désirait pénétrer le troublant mystère de la musique, à l’évolution de laquelle son nom restera indissolublement attaché ; je le vois m’encourager avec cette sagesse, cette gaieté, cette insouciance des injures qu’il se plut à nous enseigner, me faire constamment des surprises nouvelles en me lisant des poèmes merveilleux que son génie offrit à ma petitesse. Il est ici, il parle à nos âmes, il nous crie de ne pas nous arrêter sur le chemin qu’il a tracé, d’aller toujours vers plus de lumière, plus de raison, plus de fraternité. L’impression d’abandon, que nous éprouvâmes, il y a un an, doit s’effacer.

           

            Émile Zola est définitivement entré dans la lumière de la célébrité alors que l’œuvre d’Alfred Bruneau est encore d’une diffusion confidentielle. Mais nul doute que le compositeur rencontrera un jour son public et sortira de l’ombre bienfaitrice de son ami, au sein de laquelle il a composé une œuvre qui reste à redécouvrir.