Le polémiste

Zola n'était pas tendre pour ses contemporains. Voici les lignes qu'il ne craignit pas d'écrire sur Victor Hugo, alors que le grand poète était l'objet d'un culte unanime, quelques années avant sa mort.

Victor Hugo

Je me révolte qu'on ait étranglé sur l'autel de cet homme tous les autres poètes, et Musset, et Lamartine. Chateaubriand, dont il est le fils, n'est plus qu'un escabeau sous ses pieds. Quand à Balzac, il fait sourir les dévots. Victor Hugo, et c'est assez. Il incarne tout. On le sacre grand poète, grand dramaturge, grand romancier, grand critique, grand philosophe, grand historien, grand politique, ou, pour mieux dire, on lui donne le siècle de haut en bas, de long en large ; il serait, à lui tout seul, le dix-neuvième siècle. Je ne raille pas, je résume une opinion courante.
Eh bien ! le respect m'échappe devant cette énormité. J'aime mieux passer pour un mauvais coeur et rester un homme de bon sens. Si, dans une vingtaine d'années, quelqu'un me relit, je ne veux pas qu'il éclate de rire. Et puis, meurent les convenances, les égards, les sentiments, meurent nos orgueils et nos gloires, pourvu que la vérité soit ! Il n'y a que la vérité. Il faut aller à elle quand même, en marchant sur les siens, et dans la mort de tout ce qu'on a aimé.

Victor Hugi l'homme du siècle ! Victor Hugo, le penseur, le philosophe, le savant du siècle ! et cela au moment où il vient de publier l'Ane, cet incroyable galimatias, qui est comme une gageure tenue contre notre génie français ! Mais, en vérité, aux plus mauvaises époques de notre littérature, dans les quintessences de l'hôtel de Rambouillet, dans les périphrases de l'école didactique, jamais, jamais, entendez-vous ! on n'a accouché d'une oeuvre plus baroque ni plus inutile. Tant pis ! je romps le pacte, je dis à voix haute ce que tout le monde se contente de penser très bas.
Le procédé du poète est simple. Il ramasse les rengaines dont aucun de nous n'oserait se servir. Par exemple, son âne se fâche contre les pédants, les collèges, les grimoires qui abêtissent les enfants ; il tonne contre les livres, les gros livres surtour, beaucoup plus coupables, paraît-il, que les petits livres ; il déblatère sur l'attitude que la foule prend à l'égard des hommes de génie ; il juge, enfin, avec sévérité la conduite de l'homme vis-à-vis de la création, de la société et de lui-même. Tout cela est d'une nouveauté douteuse, je le répète, et le pis est que l'âne n'apporte aucune idée, aucun argument.
Nous pataugeons en plein rabâchage. Seulement, le poète intervient et nous donne du rabâchage sublime. Les choses les plus plates prennent des allures tonitruantes. Calino se double d'Isaïe. Cela serait très médiocre, si c'était dit simplement ; mais, comme le poète dit les choses avec une enflure extraordinaire, cela devient absolument illisible. Je défie une femme d'aller jusqu'au bout. C'est consternant. J'ai cru entendre Malbrough s'en va-t-en guerre, joué dans les trompettes du Jugement dernier.

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