Le philosophe

Dans un des volumes de Zola, Une Campagne, nous avons découvert cette charge à fond de train contre la manie politicienne. Cette page prend une curieuse signification lorsqu'on songe aux orages auxquels le nom de l'écrivain fût mêlé.

Les misères de la politique

J'ai ri, dans mon coin, du soulèvement des hommes politiques et de la presse, quand on leur a signifié qu'ils auraient seulement trois pauvres petites semaines d'agitation électorale. Ils ont parlé furieusement de guet-apens, de mauvaise foi, et le mot d'escamotage a couru ; oui, le gouvernement malhonnête leur escamotait leur jouissance, leur enlevait de la bouche le pain du désordre. Pensez donc ! rien que trois semaines à écrire des professions de foi imbéciles et incorrectes, à endoctriner de pauvres diables qui se vendent pour un verre de vin, à emplir la presse d'un tas d'effroyable prose dont on ne pourra même pas faire du fumier, à tenir le pays dans un malaise intolérable, d'où la nation sort, les yeux battus et la tête vide, comme après une nuit d'ivresse. Mais c'est une mesure inique, cela ne se peut supporter ! Il fallait trois mois de cette gourmandise, il fallait toute la vie !
Ah ! toute la vie, ce serait le rêve ! Des élections continues, des députés nommés pour un jour, siégeant le matin et se représentant le soir devant les électeurs ! plus rien que de la politique, au déjeuner et au dîner, au lit comme à la table ! une nation qui mangerait des journaux au lieu de pain, qui en serait réduite à faire la chaîne pour déposer des bulletins dans les urnes, sans avoir même le temps de se moucher!
Le fait est simple. Dans leurs boutiques, les bouchers poussent à la consommation de la viande. Du moment que la politique est devenue une carrière, le refuge naturel des ambitions souffrantes, des petits hommes qui ont échoué partout ailleurs, il est naturel que ces hommes nous accablent de politique. C'est le combat pour la vie. Que deviendraient, par exemple, M. Floquet, ou M. Ranc, ou les autres, si, du jour au lendemain, la France qu'iles ennuient leur supprimait leur vache à lait ? Des avocats sans talent, des romanciers de dixième ordre, des passants inconnus sur le trottoir banal. En avant donc la politique ! de la politique partout, de la politique toujours ! Plus l'eau est trouble, plus la pêche est abondante. On met la bêtise publique en coupe réglée, et l'on pousse un cri de douleur et de rage, lorsqu'on vous accorde seulement vingt et quelques jours pour l'exploiter en grand.

Ah ! je la hais, cette politique ! je la hais pour le tapage vide dont elle nous assourdit, et pour les petits hommes qu'elle nous impose !
Vous allez voir, quoi qu'il arrive, quelle pauvre Chambre elle nous enverra. C'est comme une écume d'ignorance et de vanité que le suffrage universel pousse dans Paris. Pantins d'un jour, illustres inconnus retombant dans le néant, plats ambitieux venant faire le jeu du plus fort et se contentant d'un os à ronger, cerveaux malades rêvant de venger leurs continuels échecs, tous les appétits déréglés et toutes les sottises lâchées ! Lorsqu'un homme simplement raisonnable passe et qu'il jette un regard sur ce grouillement qui fermente, il s'arrête, stupéfait, navré.
Quoi ? est-ce possible, est-ce donc la France qui est là ? Non, la France est ailleurs, elle n'est pas avec la vermine qui la dévore, elle est avec ceux de ses enfants qui pensent et travaillent.

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