Opinions diverses

Nous croyons intéressant d'ajouter, à l'étude qu'on vient de lire, l'opinion de quelques littérateurs étrangers. Ces jugements sont très divers ; ils vont de la plus grande indulgence à la plus extrème sévérité. Ils furent recueillis au moment où Zola se présentait à l'Académie :

Impossible de dire tout court ce que je pense de Zola. Je crois être le premier hors de France qui ait parlé de lui, c'est-à-dire de son livre : Mes haines. Je l'estime comme homme, je l'admire comme écrivain, tout en gardant beaucoup d'objections à sa méthode, trop lourde, et à ses théories de naturalisme, trop naïves. Il est très grand romancier symboliste.

GEORGES BRANDES (Danemark)

Ce que je pense d'Emile Zola ? Je l'ai exposé, récemment, dans un livre auquel on a reproché son étendue. Pourtant, puisque l'occasion s'en présente et qu'il paraît y avoir eu des malentendus, peut-être pas toujours involontaires, je répète ici que je considère Zola comme une des âmes les plus intéressantes et comme un des producteurs les plus prodigieusement puissants de ce temps.

MAX NORDAU (Autriche)

Je crois fermement à l'existence d'une Providence divine qui nous accorde l'usage du libre arbitres pour combattre les débilités morales - triste héritage - aussi bien que les maux physiques. Si la nature nous a légué les maux héréditaires, elle nous a encore doués de la faculté d'aspirer vers tout ce qui est pur et beau.
L'auteur de l'Assommoir n'a pas voulu accentuer ce meilleur côté de notre être, qui est réel et vrai autant que la laideur et la perversité. Cela est une lacune énorme qui se fait sentir trop souvent chez lui. Sauf ces réserves, je m'incline avec admiration devant l'exubérance, la force prodigieuse répandue partout dans ses ouvrages. Ce sont surtout Germinal et l'OEuvre qui m'ont le plus fasciné.

CH. SNOILSKY (Suède)

Ce n'est pas, il me semble, du génie français, mais plutôt de l'italico-grec que celui qui, avec Emile Zolan a fait irruption dans notre littérature scandinave.
Dans l'Assommoir et ses autres chefs-d'oeuvres, je m'incline devant son zèle miral ; j'adore en lui le réformateur et le pionnier d'un temps nouveau ; et je l'aime quand il se montre grand artiste.
Mais, parfois, il oublie son Art. Alors, il reste debout, grand et brutal, les manches retroussées et le balai à la main, enlevant les ordures, hurlant et décrivant le genre et la bassesse de toute la saleté. C'est vraiment grandiose, ça aussi. Mais tous ces dévoiements directs sont, le plus souvent, contraires à mon sentiment artistique. Je trouve que les effets puissants et sublimes qu'on éprouve dans ses oeuvres monumentales sont bâtis sur une multitude de détails très longs et quelquefois très fatigants. C'est de l'architecture de cyclope. Voilà mon opinion sur la grandeur d'Emile Zola !

JONAS LIE (Norvège)

J'ai la plus grande admiration pour le tament de M. Zola, je n'en ai aucune pour son goût ; on nous a habitués à considérer l'Académie française comme un temple de bon goût, et nous pourrions être un peu étonnés de voir l'Académie rompre en face avec ses traditions.

ANGELO DE GUBERNATIS (Italie)

Ce que je pense de l'auteur de l'Assommoir ? Comme écrivain, je l'ai toujours admiré, mais avec une intensité décroissante. Son abondance, son aisance à mettre en scène, sa divination merveilleuse de ce qu'il n'a pas vu ou peu vu, l'imprévu et le pittoresque de ses mots faisant image, l'ampleur, la profondeur ou le charme de ses sujets m'ont causé quelques-unes des grandes sensations artistiques de ma vie. Mais ses dernières oeuvres m'ont semblé atteintes de monotonie et accuser quelque épuisement.

EDMOND PICARD (Belgique)

Un livre, c'est un facteur d'âmes. Si, encore, le lecteur trouvait, dans ceux de M. Zola, le bien et le mal en proportions équilibrées, ou, du moins, en proportions telles qu'on les rencontre dans la réalité ! Mais non. Il faut un effort considérable pour composer, sur sa palette, les tons d'une aurore ou les couleurs d'un arc-en-ciel ; la bace, au contraire, est dans toutes les bouches. En résumé, le naturalisme aime les effets faciles et à bon marché. Il préfère l'air méphitique aux aromes, le sang vicié au sang pur et vermeil, le bois pourri à la sève, l'engrais à la fleur, la bête humaine à l'âme humaine!

SIENKIEWICZ (Pologne)

Quant à Zola, que voulez-vous qu'on dise ? Je ne crois pas que le reste de l'Europe s'en inquiète autant qu'on se l'imagine à Paris. Tout au plus y peut-on, parfois, regretter qu'un homme de talent subisse, depuis quelque temps, je ne sais quelle déchéance cérébrale et se prépare une vieillesse un peu ridicule.

MAURICE MAETERLINCK (Flandre)

M. Emile Zola est un des plus grands artistes du dix-neuvième siècle. Ses défauts, ses excès, sa manière, ne sauraient empêcher qu'il le soit. Non seulement il doit être considéré artiste hors ligne, mais il compte parmi la douzaine d'artistes qui ont vraiment influé sur notre évolution littéraire (je parle de la littérature universelle) dans ce dernier quart de siècle. Chez nous, il possède des admirateurs, des traducteurs, des éditeurs qui payent gros, des imitateurs, des commentateurs, des ennemis, des disciples. Tout ça, c'est la gloire, la renommée, l'influence. Il peut être discuté, il ne saurait être nié.

PARDO-BAZAN (Espagne)

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