Zola jugé par son médecin

Le docteur Toulouse, médecin de Sainte-Anne, se livre, il y a six ans, à une étude approfondie d'Emile Zola. Voici quelques-unes de ses conclusions.

Tout d'abord, posons bien ce fait, pour les partisans des théories lombrosiennes, que M. Zola n'est pas épileptique. Il n'est pas non plus hystérique, ni suspect d'aliénation mentale, bien qu'il ait des troubles nerveux multiples (contractures de l'orbiculaire, très vésical, spasmes cardiaques, crampes thoraciques, fausse angine de poitrine, hyperesthésie sensorielle, algies, idées obsédantes et impulsives). Faut-il le dire atteint de dégénérescence mentale ? Je crois que cette étiquette ne lui convient pas tout à fait, à moins que l'on ne range M. Zola dans la catégorie des dégénérés supérieurs (Magnan), chez lesquels, à côté de brillantes facultés, il existe des lacunes psychiques plus ou moins grandes. Mais, encore, où sont ces lacunes ? Sa constitution physique et psychique est, en somme, pleine de force et d'harmonie. Le système nerveux est évidemment hyperesthésié dans certaines de ses parties, et, à ce point de vue, déséquilibré, pour employer un mot assez vague et courant. L'émotivité est, en définitive, défectueuse. Mais comme tout cela a peu de retentissement sure la sphère cérébrale !

Voici quelques-uns de ses goûts :
Les trois choses qui lui paraissent les plus belles, c'est la jeunesse, la santé, la bonté. Il aime aussi beaucoup les bijoux et les machines à vapeur, c'est-à-dire le fini et la solidité du travail. Une machine à vapeur en diamant serait, pour lui, la plus belle des choses. Ce qu'il préfère toucher, ce sont les tissus fins, la soie ; parmi les choses qui se voient, il aime surtout les spectacles urbains et les paysages. Dans le monde des couleurs, il préfère la palette rouge, jaune et vert de Delacroix, les nuances fanées, et, dans les tons complémentaires, le jaune uni au bleu. Des odeurs, ce sont les odeurs naturelles, les fleurs, qui ont ses préférences, mais nullement les parfums industriels ; parmi les saveurs, c'étaient jadis les saveurs fortes, quand il buvait du vin ; ce sont, maintenant, les sucreries.
Des émotions liées à l'instinct de la conservation, la peur est la principale. M. Zola n'a pas trop d'appréhension à bicyclette ; en revanche, il redoute l'obscurité et ne traverserait pas tout seul une forêt la nuit. Il a peur de mourir subitement, et cette crainte le reprend par crises. Il ne redoute pas d'être enterré vivant ; mais, parfois, il a été, en chemin de fer, assailli par l'idée fixe d'être arrêté dans un tunnel dont les deux bouts s'écrouleraient ; cette dernière phobie a quelque chose de morbide. Enfin, il n'a jamais eu d'idées de suicide.

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