Les Echos de Paris



Emile Zola est mort.

On ne s'attendait pas à cet évènement. Il s'est accompli dans des conditions tout à la fois tragiques et banales. L'écrivain a succombé à un vulgaire accident : il a été asphyxié par l'oxyde de carbone qui se dégageait d'une cheminée mal ramonée. Et Mme Zola a failli subir le même sort. Elle n'y échappe que par miracle.

Causons un peu de cet homme dont la vie à été si bruyante et mouvementée. Je ne me place ici, bien entendu, que sur le terrain purement anecdotique.


Zola avait un père italien ; une mère d'origine dourdanaise (comme Sarcey) ; il naquit à Paris. Zola père, sa femme étant sur le point d'accoucher, avait loué, au 10 de la rue Saint-Joseph, au quatrième, un appartement qu'il meubla sommairement. Dans la vieille rue, construite sur le cimetière où Molière reposait, le 10 était une maison neuve ; il en essuya les plâtres.

L'appartement était très simple. Les fenêtres de la salle à manger donnaient sur cette étroite rue du Croissant, déjà halle aux journaux et toute pleine du bruit que fait la pensée avec la complicité de la lettre d'impression.

Ce fut juste pour ses couches que Mme François Zola arriva de Dourdan. Elle trouva dans la maison la layette prête, le berceau installé. Le petit n'avait plus qu'à venir. On souhaitait un garçon ... Le 2 avril suivant, ce voeu fut exaucé ...

Les parents du romancier n'ont habité cette maison que quelques mois ; ils allèrent demeurer, ensuite, à la place du Carrousel, à peu près où s'érige, aujourd'hui, le monument de Gambetta. M. Zola père, bonapartiste fervent, en 1840, était à sa fenêtre pour voir passer le cortège de la translation des cendres de l'empereur ; il faillit avoir le nez gelé.

Emile Zola alla à Aix vers l'âge de cinq ans et, à dix-huit ans, il revenait à Paris pour faire sa seconde au lycée Saint-Louis. Au sortir du lycée, très pauvre, et n'ayant pas réussi à passer son baccalauréat, il habita bien des garnis : rue Monsieur-le-Prince, rue Saint-Jacques, rue des Feuillantines, rue Saint-Victor, rue Saint-Etienne-du-Mont, où il eut la chambre en laquelle Bernardin de Saint-Pierre écrivit Paul et Virginie. Il quitta la rive gauche pour les Batignolles et, successivement, habita, avec sa gloire naissante, des appartements plus beaux, pour arriver à l'hôtel de la rue de Bruxelles ...


On connaît l'histoire de ses débuts. Il entra à la librairie Hachette, comme commis. Nous avons retrouvé une curieuse lettre, adressée jadis par Emile Zola au poète Octave Lacroix :

Librairie Hachette et Cie, boulevard Saint-Germain, 79

Paris, le 30 mars 1865.

Cher monsieur et ami. Je n'ai pas douté un instant de votre amitié et je vous remercie à l'avance des mentions que vous me promettez.
Je vous avoue que je suis, en ce moment, très friand de publicité. Vous me ferez le plus vif plaisir en vous occupant de mon livre, car j'aurais besoin que la presse donnât un bon coup de collier pour que le reste de la première édition fût vendu.
Je compte donc sur vous. Je ne vous dis plus de venir me serrer la main, puisque vous semblez avoir oublié le chemin de la librairie.
A vous de tout coeur,
Emile Zola

Je cherche, en ce moment, un poste fixe dans quelque journal, une chronique, une revue littéraire, une suite régulière d'articles quelconques. Si vous entendez parler de quelque chose, songez à moi ; nous en causerons lorsque j'aurai le plaisir de vous voir.

Il réussit à trouver un éditeur, l'érudit et généreux Albert Lacroix, qui lui assura une rente mensuelle ; et, peu à peu, sa réputation grandit. En 1870, elle était encore des plus modestes ; et Zola songeait vaguement à embrasser une carrière administrative.

Dernièrement, deux députés rappelaient devant nous cette curieuse phase de sa vie :

- Quand on pense que Zola fut bombardé, jadis, sous-préfet de Castelsarrasin !
- Vraiment ! Est-ce bien authentique ?
- Mais, cher monsieur, l'Annuaire du département de Tarn-et-Garonne mentionne cette nomination à la det de mars 1871, vers le début de la Commune.
Et alors que j'ébauchais un geste de surprise :
-J'ajouterai, accentua ce personnage, que M. Emile Zola était désigné pour remplacer M. Camille Delthil, le poète des Rustiqueset des Lembrusques, qui, lui, savait au moins concilier la littérature avec l'administration !.. Ce fut le 22 février 1871 - vous voyez, je précise - que M. Delthhil reçut une dépêche du gouvernement de Bordeaux l'appelant à d'autres fonctions et nommant à sa place M. Emile Zola, homme de lettres.
- Mais Zola n'exerça pas ? fis-je.
- Hélas ! non, monsieur ! M. Delthil, un enfant de Castelsarrasin, protesta ; on fut étonné, à Bordeaux, de cette décision qu'ignorait Gambetta ; Spuller fit une enquête et découvrit que Laurier, à qui Zola avait été recommandé, avait agi de son propre chef ; bref, l'arrêté, qui n'était pas encore officiel, fut annulé. M. Delthil demeura sous-préfet de sa ville natale !
Et mon brave interlocuteur, quelque peu apparenté à Joseph Prudhomme, conclut :
- Si Zola eût suivu cette carrière gouvernementale, que de déboires, monsieur, il se fût épargnés !

On sait que Zola a postulé pour entrer à l'Académie. Il a posé, exactement, dix-neuf fois sa candidature.

En effet, depuis le 1er mai 1890 jusqu'en 1898, Zola s'est présenté à toutes les élections, sauf au deuxième scrutin pour la succession de Taine, qui échut à M. Albert Sorel, et à l'élection du remplaçant de M. Maxime Du Camp, qui fut M. Paul Bourget.

Les Immortels décédés dont Zola désirait faire l'éloge sont les suivants :

En 1890, Emile Augier (deux élections), remplacé par M. de Freycinet ; en 1891, Octave Feuillet, remplacé par M. Pierre Loti ; en 1892, Jurien de la Gravière, remplacé par M. Lavisse ; en 1893, Xavier Marmier, remplacé par M. de Bornier ; Camille Rousset, remplacé par M. Thureau-Dangin ; Renan (deux élections), remplacé par Challemel-Lacour ; John Lemoinne, remplacé par M. Brunetière ; en 1894, de Mazade, remplacé par M. de Heredia ; Taine, au premier tour seulement ; Leconte de Lisle, remplacé par M. H. Houssaye ; en 1895, Duruy, remplacé par M. Jules Lemaître ; en 1896, de Lesseps, remplacé par M. Anatole France ; Camille Doucet, remplacé par M. Costa de Beauregard ; Pasteur, remplacé par M. Gaston Paris ; Léon Say, remplacé par M. Albert Vandal ; Alexandre Dumas, remplacé par M. André Theuriet ; et, enfin, Challemel-Lacour ...

Dans ces diverses tentatives, le plus grand nombre de voix réunies par Zola a été de onze.

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